Monday, May 04, 2009

Obama et le Moyen-Orient

Ci-desous un article de mon collègue Aziz Enhaili. Faites-moi savoir ce que vous en pensez!

Depuis la date historique du 20 janvier 2009, les cent premiers jours de la présidence Obama se sont écoulés. Malgré le lourd fardeau de la crise financière et économique mondiale à laquelle il fait face, Obama s'est servi de cette période cruciale des premiers cent jours pour amorcer le «démantèlement» de la politique étrangère de son prédécesseur.

Ce changement touche à la fois le ton utilisé et les décisions prises par son prédécesseur. Pour la satisfaction du reste de la communauté internationale. Il est aidé en cela par une forte popularité dans son propre pays, malgré la crise. La preuve: selon un dernier sondage Washington Post-NBC, publié le 26 avril, 69% des Américains approuvent son action. L'opinion publique pense qu'il va réconcilier les États-Unis avec le reste du monde, notamment le monde musulman et l'Europe.

I. Une présidence à l'écoute

Enivré de la supposée toute-puissance américaine, Bush avait un ton martial et unilatéral presque chaque fois qu'il s'adressait aux leaders étrangers. Il était persuadé que son pays incarnait un leadership indispensable et incontournable. Le chef de file naturel d'un «axe du Bien» face à un «axe du Mal»! Cette philosophie messianique et arrogante des relations internationales et de la «diplomatie» heurtait le reste de la communauté internationale. Aux yeux de Bush, le leadership américain consistait à ce que le reste du monde suive les décisions de Washington, comme si ce qui était bon pour l'Amérique le serait nécessairement pour le reste du monde!

À force d’entendre des formules inappropriées et arrogantes, le monde musulman avait fini par assimiler la «guerre contre le terrorisme» de Bush à une guerre contre l'Islam. Même les alliés européens s'inquiétaient d'un tel effet pervers de la stratégie néoconservatrice du «remodelage» du Grand Moyen-Orient. Après un bref moment de panique, les adversaires de Washington, tels l'Iran et la Syrie, avaient fini par reprendre l'avantage.

Prenant la mesure des dangers de ces dérapages rhétoriques, le successeur de Bush à la Maison-Blanche a pris soin de s'en dissocier. C'est pourquoi il a d'abord utilisé un ton humble à l'adresse de la communauté internationale. Dorénavant, ce sera le moment de la «diplomatie de l'écoute et du respect mutuel» et non de celle de la canonnière. Chaque fois qu'il rencontrait un dirigeant étranger, il prenait le soin de s'adresser à lui avec respect et courtoisie.

D'ailleurs, plusieurs d'entre eux, dont le russe Dimitri Medvedev, ont déclaré qu'ils avaient l'impression qu'il les écoutait, lors de rencontres en marge de sommets internationaux. Et ses envoyés spéciaux dépêchés au Proche-Orient (George Mitchell) ou au Pakistan-Afghanistan (Richard Holbrooke), des régions en crise, ont été priés d'écouter leurs vis-à-vis et non de leur imposer des solutions toute faite.

Pour Obama, le leadership américain consiste non en l'imposition unilatérale des choix de Washington au reste de la communauté des nations, mais en la poursuite d'objectifs communs. Dans le respect mutuel. Toutefois, s'il sait que son pays tout seul ne peut résoudre les problèmes d'un monde très complexe, et tout en sollicitant l'aide de partenaires étrangers à cet effet, il reste confiant dans les capacités et les qualités du leadership américain. Il est persuadé que sans la contribution des États-Unis le monde ne s'en sortirait pas (1).
Son approche humble et ouverte a séduit la communauté internationale. On l'a vu lors de rencontres internationales comme le sommet du G20 à Londres (2 avril), le sommet de l'OTAN (3-4 avril) et le sommet des Amériques (17 avril). Partout où il est allé, il a bénéficié d'un préjugé favorable. Même lors de sa rencontre avec des dirigeants et citoyens musulmans, comme en Turquie (6 avril).

II. Le «démantèlement» de l'héritage néoconservateur de George W. Bush

1. «Guerre contre le terrorisme» et errements du droit

À cause des attentats «terroristes» du 11 septembre 2001 sur le sol américain, le pays était en état de choc. Et le monde aussi. C'était le moment choisi par les néoconservateurs de la nouvelle administration républicaine pour imposer leur agenda en matière de politique étrangère (2). C'était le temps de la rupture et non plus du statu quo au Moyen-Orient (3). Aux yeux de ces faucons, il fallait se servir du puissant outil militaire du Pentagone pour remodeler le monde à l'image des États-Unis et promouvoir leurs intérêts. Pour eux, le pays ne devait pas être entravé par les institutions et les traités internationaux (4).

Comme le proclamait le nationaliste étroit Richard Cheney, les États-Unis avaient besoin non que le monde les aime mais qu'il les craigne! Pour eux, le droit international devait se plier aux intérêts américains. Les dérives de leur lutte contre le «terrorisme» les ont conduits délibérément à violer le droit international humanitaire et le droit international de guerre, dont les Conventions de Genève.

Si dans le passé, ce pays représentait une nation phare pour le reste du monde en termes de liberté et de démocratie, et ce malgré les «imperfections» cyniques de sa politique extérieure, la chasse aux djihadistes ouverte dans le monde entier après le 11 septembre 2001, les vols secrets de la CIA, la «délocalisations» de la torture de présumés djihadistes dans de nombreux pays autoritaires (Maroc, Égypte, Jordanie…), les prisons secrètes, la pratique de la torture notamment à Guantanamo (Cuba), à Bagram (Afghanistan) et à Abou Ghraïb (Irak) ont achevé de ruiner la réputation démocratique des États-Unis. D’où la perte de leur autorité morale à l'étranger.
Pour redonner du lustre à l'image de son pays, Obama devait rapidement montrer que l'ère bushienne n'était qu'une parenthèse malheureuse dans l'histoire de son pays. Mais pour convaincre les autres pays de sa sincérité et rassurer la gauche américaine, il fallait qu'il s'attaque rapidement au symbole même des violations des droits humains tant décriées: le camp d'internement de Guantanamo. Deux jours seulement après son investiture (22 janvier), Obama a décrété la fermeture d'ici un an de ce centre de torture. Mais il reste encore d'autres centres de détention secrets (les «trous noirs») dans les quatre coins du monde. Plus important encore, il a déclaré solennellement que «l'Amérique ne torture pas!» Un désaveu de la politique du gouvernement sortant qui avait légalisé la torture au nom de la «lutte antiterroriste». Le 16 avril, il a permis la déclassification des mémos rédigés entre 2002 et 2005 par les juristes du gouvernement pour autoriser l'usage systématique de la torture dans les prisons secrètes de la CIA pour faire parler les «terroristes» présumés (5). Des décisions qui ont provoqué l'indignation des faucons républicains (dont Cheney, promoteur de ces mêmes méthodes) et la satisfaction des dirigeants étrangers et d'une partie de la gauche américaine.

Obama considère que la meilleure garantie de la sécurité nationale passe par la protection des droits humains et le respect de la Constitution américaine.

Même si les principaux dirigeants et conseillers, responsables d’avoir avalisé de telles pratiques douteuses (Bush lui-même, Cheney, Rumsfeld, Rice…) finiraient par échapper au courroux de la justice, les décisions et déclarations d'Obama en cette matière sont des gestes concrets de rupture avec les errements du gouvernement de son prédécesseur. En revanche, il faudra beaucoup de temps avant que les États-Unis ne réussissent à nouveau à reconquérir leur autorité morale passée.

2. Une politique étrangère pragmatique et une «diplomatie d'écoute»
Réhabiliter l'image et la crédibilité internationales des États-Unis ne pouvait non plus faire l'économie d'une ouverture diplomatique vis-à-vis des pays considérés jusqu'ici comme des ennemis de l'Uncle Sam.

Tout en rejetant le «choc des civilisations» islamique et occidentale, le président Obama a déclaré en Turquie que «les États-Unis ne seront jamais en guerre contre l'Islam» (6). Il a également multiplié les signes d'ouverture à l'égard de pays jusqu'ici rejetés par le gouvernement sortant. Exit donc cette catégorie martiale étrange des pays de l'«Axe du mal» du lexique diplomatique américain, et place à l'ouverture à des pays comme la Syrie et l'Iran, qui représentaient la bête noire du gouvernement de Bush.

2.1. Le Moyen-Orient et le Gulliver empêtré

Loin de l'hémisphère occidental, les sables mouvants et brûlants du Moyen-Orient sont devenus un piège pour un Gulliver empêtré. Pour s'en sortir avec peu de pertes et avec un regain de crédibilité internationale, Obama a esquissé les contours d'une gestion intelligente de quatre dossiers importants: l'Irak, l'Afghanistan-Pakistan, l'Iran et le conflit israélo-arabe.

A. L'Irak

Comme promis lors de sa campagne électorale, il a, le 27 février, annoncé le retrait du gros des troupes militaires américaines d'Irak d'ici à la fin de 2010. Mais pour protéger le personnel américain dans ce pays, épauler les forces de sécurité irakiennes dans leur lutte contre les insurgés locaux et étrangers et contribuer à leur formation, il a prévu de laisser quelques brigades sur place. D'ailleurs, il a effectué une visite surprise dans ce pays, au lendemain de sa visite en Turquie voisine.

B. L'Afghanistan-Pakistan (Af-Pak)

En effectuant ce retrait salué par plusieurs, Obama tourne la page d'une guerre illégale et illégitime qui a renforcé l'isolement international de son pays et amoindri son autorité morale. Mais avec l'inconscience et l'inconsistance des architectes de l'administration sortante, l'Afghanistan est devenu encore une fois de plus un foyer d'instabilité. De plus, à cause à la fois de la faiblesse du nombre des troupes de l'alliance atlantique présentes sur le sol afghan, le dédain américain pour le Nation-Building, l'incompétence et la corruption gangrénant l'édifice du gouvernement de Hamid Karzaï, les Talibans sont de retour en force. Les ratés de la reconstruction, les «bavures» des forces de la coalition et le peu d'égard qu'elles avaient montré aux codes culturels afghans ont également contribué à cette remontée des Talibans (7). Dorénavant, il faudrait compter avec eux pour trouver une issue à l'instabilité en cours. (8)

Pour contrer ce renversement de situation, Obama a annoncé dès le 27 mars une nouvelle stratégie afghano-pakistanaise (Af-Pak). Elle part du principe qu'une partie du «jeu afghan» se joue au Pakistan voisin. Il sait que gagner la guerre d'Afghanistan ne pourra faire l'économie d'un soutien effectif, clair et conséquent d'Islamabad. Pour gagner les bonnes grâces du Pakistan, il s'est, entre autres, dit prêt à augmenter substantiellement l'aide américaine. Sans oublier ses ouvertures sur le dossier du Cachemire, une pomme de discorde indo-pakistanaise depuis plusieurs décennies. En échange, il a exigé l'engagement de ce pays dans la lutte contre les Talibans du mollah Omar et les djihadistes d'Al-Qaïda, des troupes réfugiées dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan. À ses yeux, les opérations militaires devraient s'intégrer dans une stratégie plus large de Nation-Building (sans dire le mot). Mais réussira-t-il à venir à bout des inquiétudes d'un establishment militaire pakistanais méfiant à l'égard du rapprochement américain avec le puissant voisin indien? Un pays considéré encore comme un ennemi qui n'a cessé de renforcer sa présence dans l'Afghanistan post-taliban. Et les nouveaux 21.000 soldats américains venus en renfort aux troupes déjà présentes en Afghanistan ne contribueraient-ils pas à rendre cette présence étrangère encore plus visible, risquant à terme d'alimenter le «nationalisme» et l'opposition afghans?

C. L'Iran

Plus à l'ouest, l'Iran représente un grand défi pour la politique étrangère américaine. Une situation qui s'est particulièrement dégradée durant les deux mandats de Bush. Face à une politique néoconservatrice de changement du régime des mollahs, la République islamique a eu recours à une «politique arabo-islamique» très astucieuse. L'échec américain en Irak a renforcé les positions régionales de ce voisin chiite avide d'être reconnu comme puissance dominante du Golfe arabo-persique, au grand dam de l'Arabie saoudite. Son appui au Hezbollah chiite libanais et au Hamas palestinien, deux mouvements de résistance islamo-nationaliste opposés aux politiques israéliennes dans la région, a renforcé la popularité de l'Iran dans la «rue arabe». La chute des régimes baathiste à Bagdad et taliban à Kaboul y a renforcé le poids de ses alliés.

À cause de l'ascension fulgurante de l'Iran, plusieurs pays du Moyen-Orient sont inquiets. Israël a pris la tête de la croisade anti-iranienne. Tel-Aviv est persuadée que Téhéran poursuit, sous couvert du programme nucléaire civil, un programme militaire secret, avec comme ambition de se doter à terme de l'arme atomique. Brisant ainsi le monopole israélien de l'arme nucléaire au Moyen-Orient. L'Arabie saoudite, en tête des émirats du Golfe, est inquiète de cette ascension irrésistible. Tout en risquant de perdre son statut de puissance dominante du Golfe, Riyad, à l'image des autres principautés arabes de la région, craint de voir sa minorité chiite instrumentalisée par la politique étrangère de Téhéran. Sans oublier le fait que cette minorité opprimée vit dans les régions pétrolifères les plus abondantes de l'Arabie.

Depuis la Révolution islamique iranienne de 1979, les relations diplomatiques entre l'Iran et les États-Unis ont été rompues. Et les coups durs de part et d'autre n'ont jamais cessé. Sans oublier les envolées lyriques des deux pays.

Malgré les critiques virulentes de ses adversaires républicains, Obama n'a cessé, depuis sa campagne électorale, d'exprimer son ouverture à l'égard de l'Iran. (9) Sans attendre l'issue de la prochaine élection présidentielle iranienne de juin prochain, il a choisi le 20 mars, jour de la fête iranienne de Norouz, pour tendre la main à Téhéran, lors d'un discours d'ouverture adressé au peuple iranien. Un geste politique apprécié par le président Mahmoud Ahmadinejad, bête noire d'Israël et de ses amis à Washington.

Contrairement à l'administration républicaine, Obama n'a posé aucune condition préalable à l'ouverture des négociations avec Téhéran. Ce qui représente un renversement d'approche diplomatique vis-à-vis de ce pays. En échange du renoncement de Téhéran à la fois à son programme nucléaire militaire, malgré les dénégations des mollahs, et au soutien des mouvements politico-militaires du Hezbollah et du Hamas, Obama a promis de substantielles «récompenses». En plus de la levée de l'isolement international de l'Iran et l'injection d'investissements productifs conséquents dans l'économie et les infrastructures, Washington s'engagerait notamment à le reconnaître comme principale puissance du Golfe. Les pays arabes de la région craignent de devoir payer le prix d'un rapprochement américano-iranien. Il compte sur l'aide sino-russe dans ce dossier.

En raison des cartes maintenant en main de Téhéran, Obama est conscient du fait qu'il aura besoin de sa contribution pour, entre autres, stabiliser la situation en Afghanistan et en Irak, renforcer la stabilité politique du Liban, faciliter le rapprochement entre le Hamas et le Fatah, condition nécessaire pour la relance des négociations de paix entre les Palestiniens et les Israéliens, prélude à la naissance d'un État palestinien à côté de l'État hébreu.

D. Les volets du conflit israélo-arabe

Le conflit israélo-arabe dure depuis 62 ans. Le processus d'Oslo des années 1990 a échoué lamentablement. Sans surprise. La colonisation juive des territoires palestiniens occupés de Cisjordanie n'a cessé de croître et l'État palestinien n'a pas vu le jour. Sans oublier le fait que les citoyens de l'État hébreu n'ont jamais joui d'une sécurité réelle. La seconde guerre du Liban de l'été 2006, le blocage du volet syrien et la guerre de Gaza de l'hiver 2009 ont montré le blocage et le pourrissement de la situation israélo-arabe. Une situation à l'avantage des forces hostiles aux États-Unis dans la région.

Les images des humiliations quotidiennes des Palestiniens survivant sous une occupation militaire brutale, images transmises par des réseaux satellitaires arabes, fonctionnent ici comme outil de recrutement de nouvelles recrues anti-américaines et anti-israéliennes. Elles font également effriter un peu plus chaque jour l'assise des régimes autoritaires arabes. Des régimes accusés de tourner le dos aux Palestiniens, si ce n'est d'être complices purement et simplement d'Israël.

C'est dans ce contexte que se situe la montée d'un anti-américanisme virulent dans le monde arabo-musulman. Sans oublier l'appui inconditionnel multiforme américain à l'État hébreu et le soutien à des autocraties conservatrices arabes. Un réseau international comme Al-Qaïda a profité de ce contexte pour renforcer son assise.
Obama est conscient du fait que tant que le conflit israélo-arabe durera, le sentiment anti-américain ne baissera pas d'intensité et les intérêts américains continueront d'être menacés par les djihadistes.

Mais son engagement solennel de parvenir à la création d'un État palestinien indépendant et viable bute notamment sur deux difficultés d'importance. D'abord, du côté israélien, les électeurs ont fait un virage à droite lors des élections de l'hiver 2009, tenues dans le sillage de la guerre de Gaza. Au point où le gouvernement actuel comprend, en plus de la droite nationaliste du Likoud et de la droite religieuse sépharade et ashkénaze, le chef de file de l'extrême droite laïque israélienne. Ces composantes sont hostiles à l'idée même de création d'un État palestinien. Tout en plantant un arbuste sur les hauteurs du Golan pendant la campagne électorale, signe de son refus du retrait de ce territoire syrien occupé depuis 1967, celui qui allait devenir le nouveau premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, s'est dit opposé à la création d’un État palestinien. Et son vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères est quant à lui ouvertement partisan du «transfert» (c'est-à-dire de l'expulsion) des Arabes Israéliens (qui représentent 20% de la population de l'État hébreu). Avec un tel gouvernement de droite, il ne faudrait pas exclure un conflit ouvert entre Washington et Tel-Aviv.

L'élection de ce gouvernement de droite en ce moment précis de l'histoire tombe mal pour Israël et pour le processus de paix. Contrairement à ce qui se passait précédemment aux États-Unis, cette fois l'administration américaine se montre moins encline à soutenir inconditionnellement la politique israélienne face aux Palestiniens.

Cette ébauche de changement se produit dans un nouveau contexte de réflexion stratégique américain. Ainsi, de plus en plus de voix influentes s'élèvent pour dire combien la «relation spéciale» avec Israël, pour cause du comportement «irresponsable» de ce dernier à l'égard des Palestiniens, est devenue source d'handicaps majeurs pour les objectifs stratégiques de la politique américaine au Moyen-Orient. (10) De plus, l'apparition du JStreet sur la scène publique est une mauvaise nouvelle pour les tenants d'une ligne pro-israélienne dure face aux Palestiniens, tels l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) et la Zionist Organization of America (ZOA). Les succès remportés récemment par ses campagnes de levée de fonds auprès de grandes familles et personnalités influentes juives montrent qu'une partie non négligeable de la communauté juive américaine n'est plus convaincue de la justesse de la ligne dure de la droite israélienne pour l'intérêt national de l'État hébreu. Pour un nouveau lobby pro-israélien comme le JStreet, la création d'un véritable État palestinien est dans l'intérêt même de l'État d'Israël.

Ce développement au sein de la communauté juive rendra moins efficace toute campagne de pression de Tel-Aviv sur Washington. D'ailleurs, le refus de Tzipi Livni, ancienne ministre des Affaires étrangères et chef du parti Kadima de centre-droit, de rejoindre la coalition au pouvoir en Israël est un autre facteur limitatif de la marge de manœuvre de Netanyahou dans ce sens.

Ensuite, la seconde difficulté de la mise en place de la stratégie politique d'Obama touche le côté palestinien. Jamais ce peuple n'a été aussi divisé. D'un côté, il y a le Hamas qui règne en maître absolu sur la bande de Gaza, un territoire coupé du reste du monde et plongé dans une crise humanitaire grave sans précédent, depuis l'élection démocratique des islamistes qui ont chassé et surtout la chasse du le Fatah du territoire qu’ils contrôlent. Le Fatah, quant à lui, contrôle des portions de la Cisjordanie, sous l'œil vigilant d'Israël. En l'absence d'une réconciliation nationale inter-palestinienne et d'un gouvernement d'union nationale, il existe peu de chances que le processus de paix soit relancé pour qu’il puisse donner lieu à un État.

*

Maintenant que cent jours se sont écoulés depuis l'investiture de Barack Hussein Obama comme nouveau président des États-Unis, les contours de sa doctrine en politique étrangère commencent à prendre forme et à se préciser. Cette doctrine allie principes moraux et approche réaliste des crises et relations internationales. On pourrait la qualifier, pour le moment, d'idéalisme réaliste. Le pragmatisme de cette doctrine explique l'ouverture de la politique étrangère du nouveau locataire de la Maison-Blanche face à des pays considérés jusqu'ici comme des ennemis des États-Unis. L'enjeu étant ici la résolution des crises internationales et non l'enfermement dans des postures idéologiques contre-productives. D'ailleurs, cette approche n'a pas empêché le président Obama de recourir à la force quand c'était nécessaire, lors par exemple de la prise en otages de citoyens américains tombés récemment aux mains de pirates somaliens.

Aziz Enhaili est contributeur au volet «Moyen-Orient» du LEAP/E 2020 (Laboratoire Européen d'Anticipation Politique/Europe 2020). C'est un Think Tank européen leader dans le domaine de prospective internationale. Il a cosigné trois ouvrages collectifs, dont deux dirigés par Barry Rubin: Political Islam (Londres: Routledge, 2006) & Global Survey on Islamism (à venir).
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Notes

1) Barack Obama, «Renewing American leadership», Foreign Affairs, Volume 86, No. 4, Juillet-Août 2007, pp. 2-16.
2) Bob Woodward, Bush at War, (New York: Simon & Schuster, 2002).
3) Ghassan Salamé, Quand l'Amérique refait le monde, (Paris: Fayard, 2005).
4) Ivo H. Daalder & James M. Lindsay, America Unbound. The Bush Revolution in Foreign Policy, (Washington, D.C.: The Brookings Institution Press, 2003).
5) Mark Mazzetti & Scott Shane, «Interrogation Memos Detail Harsh Tactics by the C.I.A.», New York Times, 17 avril 2009.
6) Cf. le discours de Barack H. Obama devant le Parlement turc sur le site de la Maison-Blanche, www.thewhitehouse.gov.
7) Aziz Enhaili, «Le ’11 septembre indien’ & la sécurité régionale du flanc sud de l’Asie centrale et de l’Asie du sud», http://europe2020.org/spip.php?article579 (7 janvier 2009).
8) Jacques Follorou, «Les talibans brûlent près de 200 camions destinés à l’OTAN à Peshawar», Le Monde, 8 décembre 2008.
9) Cf. www.barackobama.com
10) John J. Mearsheimer & Stephen M. Walt, The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, Farrar, Straus and Giroux, 2007 ( Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, traduit de l'anglais (États-Unis) par Nicolas Guilhot [et alt.], Paris : La Découverte, 2007.

3 comments:

Bob said...

Obama devrait être plus réservé que son prédécesseur Bush dans son soutien à Israël. Mais la nomination de Hillary Clinton au département d'État contrebalance cette inclination. D'ailleurs, les Etats-Unis n'ont jamais changé leur politique étrangere, surtout en ce qui concerne leurs relations avec Israël. Je ne vois pas donc qu'y aurait du nouveau. Sans doute qu'Obama rêvait de prendre son temps, avant de s'attaquer progressivement à une redéfinition profonde des relations de l'Amérique avec le reste du monde. Je suppose qu'on lui donne encore un peu de temps avant de se prononcer.

Anonymous said...

Merci Pamela pour l'article d'Aziz. Pertinent vu la situation actuelle de crise économique mondiale et de relations tendues - explosives dans certains milieux - avec le Moyen-Orient.

G.

Dr. Pamela Chrabieh said...

Merci Bob, G., pour vos interventions. Aziz Enhaili les appréciera certainement.