Monday, May 18, 2009

Démocratie, justice et lutte antiterroriste en Occident

Un article de mon collègue Aziz Enhaili que je vous recommande vivement. En attendant vos commentaires!

De nos jours, aucun pays au monde n'est à l’abri du terrorisme international. Pour s'en rendre compte, il suffit d'établir la cartographie des attentats terroristes au cours des dix dernières années.

Les terroristes ont frappé plusieurs pays occidentaux (États-Unis, Grande-Bretagne, Espagne, etc.) et musulmans (Algérie, Tunisie, Maroc, Égypte, Jordanie, Irak, Pakistan, Afghanistan, Indonésie…). D'autres encore y avaient échappé de justesse. C'est dire l'étalement géographique de l'activisme terroriste. C'est dire aussi l'urgence de trouver un meilleur moyen pour lutter plus efficacement contre cette menace globale. Tel est l'objectif esquissé ici. Mais, ne nous berçons pas d'illusions dangereuses. Ce que la communauté internationale pourra réussir, si elle s'en prend intelligemment, c'est de réduire à un niveau jugé «acceptable» l'efficacité du terrorisme.

Une première condition à toute lutte antiterroriste efficace est de comprendre ce qu'est le terrorisme international. Évidemment, comprendre ce qu'il est ne signifie ni excuser ses actions ni les légitimer à posteriori. D'ailleurs, sauf à de rares exceptions, le terrorisme demeure contre-productif politiquement, sans oublier le fait d'être indéfendable moralement. Donc, qu'est-ce le terrorisme?
Même s'il s'agit d'un terme encore non consensuel parmi les membres de la communauté internationale (les terroristes des uns peuvent être les combattants de liberté des autres), on ne peut s'en passer pour le moment, faute de mieux. Les acteurs qui y recourent sont soit des groupes organisés soit des États. En utilisant la terreur contre des civils, ils cherchent à atteindre des objectifs politiques. Le terrorisme est donc avant tout un outil politico-militaire lié à un contexte politique donné. Sans comprendre ce contexte, point de lutte antiterroriste efficace.

L'influence islamiste

Dans le contexte international actuel, le terrorisme salafiste jihadiste est avant tout lié au contexte politique et social du Moyen-Orient. Une région dirigée presque totalement par des régimes autocratiques. Des gouvernances qui ont fait des économies nationales leur chasse gardée et qui n'ont jamais essayé de mettre en place un vrai système d'éducation publique moderne ou une économie viable. Ils ont ainsi hypothéqué les rêves des jeunes générations d'un avenir meilleur, et privé leurs peuples de prendre en main leur propre destin. Pour lutter contre les mouvements politiques et sociaux progressistes d'opposition, ces régimes autoritaires ont encouragé l'émergence, du moins la consolidation, durant une longue période, de l'influence islamiste. La manne des pétrodollars saoudiens a largement «irrigué» cette plante. Le terrorisme jihadiste est le fruit notamment de ce contexte autocratique. Il se veut un outil militaire défensif là où des régimes musulmans ont échoué à faire face à des agressions militaires étrangères.

On est donc loin de l'idée répandue qui veut que le terrorisme jihadiste soit une émanation de l'islam comme religion. D'ailleurs, répandre sans cesse cette affirmation insensée est dangereux et rendrait encore plus difficile toute lutte antiterroriste efficace, car à trop crier au loup, celui-ci finirait par entrer dans la bergerie… Sans oublier le fait que la grande majorité des victimes du terrorisme sont des musulmans et non des occidentaux. À cet effet, toute stratégie de lutte antiterroriste efficace devrait comporter un discours public et des mesures concrètes dissociant la religion islamique du jihadisme et du terrorisme. C'est, entre autres, cette démarche qui pourrait endiguer le flot des terroristes et isoler les terroristes potentiels dans les communautés musulmanes.

Tout comme l'avaient fait durant les soixante dernières années les autocrates arabes et musulmans, les jihadistes d'Al-Qaïda se servent aujourd'hui du drame palestinien comme moyen de recrutement de nouveaux fantassins. Les images quasi quotidiennes montrant les souffrances d'un peuple palestinien soumis à une occupation militaire israélienne brutale contribuent un peu plus chaque jour au bouillonnement et à la colère du monde musulman vis-à-vis de l'Occident, allié et protecteur d'Israël. Suscitant de nouvelles vocations terroristes.

C'est pourquoi tant que le drame palestinien ne trouve une issue juste et honorable, avec la création d'un État palestinien viable et indépendant établi sur les territoires palestiniens occupés depuis juin 1967 (Gaza, Cisjordanie et Jérusalem-Est), le drame palestinien continuera de fonctionner comme une aubaine pour les islamistes jihadistes ou non. On observe le même phénomène dans l'Irak post-Saddam. L'occupation yankee a agi comme un puissant aimant attirant dans ce pays de nombreux militants jihadistes du monde musulman et d'Europe venus pour mener une guerre asymétrique contre les GI's installés à Bagdad.

Pour susciter de nouvelles vocations en Occident, les salafistes jihadistes se servent également d'un moyen supplémentaire. Il s'agit du prêche d'une forme très rigoriste de l'islam dans des mosquées salafistes du Londonistan ou d'ailleurs.

Contrairement aux usages vivement encouragés par l'islam et qui veulent qu'un musulman doit se montrer reconnaissant à l'égard de son bienfaiteur, il est arrivé que plusieurs de ces imams se montrent «ingrats» vis-à-vis des sociétés occidentales de refuge. À titre d'exemple, de nombreux imams officiant dans les mosquées du Londonistan tenaient des prêches incendiaires et hostiles à l'Occident! Le plus célèbre d'entre eux est l'imam égyptien Mustafa Kamel Mustafa (alias Abou Hamza), condamné dans son pays pour des actes terroristes et qui a réussi à fuir en Grande-Bretagne. Sitôt en sécurité, il se mit, du haut de sa chaire à la North London Central Mosque de Finsbury Park, à proférer les imprécations les plus terribles à l'endroit des «infidèles» britanniques. Tous les vendredis, il leur annonçait leur fin proche par l'épée, en agitant le spectre d'une invasion islamique imminente. [Il purge actuellement une peine de prison de sept ans pour incitation à la haine raciale].

Il arrive souvent que ces mêmes imams salafistes ne bénéficient que d'une connaissance rudimentaire des fondements de la religion islamique. Ces «analphabètes» fonctionnels de l'islam, arrivés de l'étranger dans différents contextes, sont souvent des gens qui n'ont jamais été dans une institution scolaire occidentale. Vivant à la marge de la nouvelle société de refuge, ils ne peuvent reproduire que ce qu'ils connaissaient déjà, c'est-à-dire ce qu'ils avaient appris dans des sociétés non-occidentales. La plupart d'entre eux ont été formés dans des madrasas ultraconservatrices déobandies (pour l'Asie du sud) ou wahhabites (pour l'Arabie).

La cible de choix de ces imams n'est nulle autre que des jeunes musulmans de deuxième ou troisième générations. Un choix bien mûri. Coupée du pays des parents ou grands-parents, cette catégorie n'a aucune idée de la réalité des sociétés musulmanes. Des pays magnifiés. Comme leurs connaissances religieuses sont soit rudimentaires soit inexistantes, ils deviennent une proie facile aux mains d'imams malveillants.

Les imams takfiris

Pour plus d'efficacité, ces imams takfiris (qui excommunient toute personne, y compris musulmane, qui n'est pas de leur obédience ultraconservatrice) transforment des faits réels, comme le racisme antimusulman, l'islamophobie ambiante et les faibles indices d'intégration sociale des musulmans (pour cause de chômage notamment), en arguments destinés à pousser les minorités islamiques à rejeter l'Occident. Arguments auxquels ils ajoutent des situations où des civils musulmans sont l'objet d'opérations militaires occidentales (Afghanistan, Pakistan, Palestine, Irak, Tchétchénie, Sud des Philippines). L'objectif visé ici est de briser le lien de fidélité de leurs ouailles à l'égard de leur pays occidental et d'en faire de potentielles recrues pour de futures opérations terroristes.

Pour faire échec à cette propagande haineuse et contenir à terme cette menace jihadiste, l'Occident devrait œuvrer à la fois dans le monde musulman et à l'intérieur de ses propres frontières, tout en renforçant la coopération sécuritaire internationale.

Au niveau des pays islamiques, il faudrait à la fois œuvrer pour résoudre des conflits régionaux comme ceux se déroulant au Moyen-Orient (celui israélo-palestinien en tête de liste), investir des sommes conséquentes dans les efforts de développement durable des pays musulmans, faire la promotion de la démocratie et de l'État de droit en leur sein, chercher à éviter que certains d'entre eux ne deviennent des États faillis. Pour paraphraser le sénateur John McCain, candidat malheureux à l'élection présidentielle américaine de novembre 2008, «une bourse [accordée à un étudiant musulman] sera toujours de loin plus efficace que toute les bombes intelligentes [contre les terroristes]». Voir arriver des cols blancs occidentaux pour œuvrer au développement ou à la reconstruction des pays musulmans sera toujours apprécié et contribuera à terme au rapprochement islamo-occidental.

En Occident, il faudrait notamment lutter vigoureusement contre les amalgames entre islam et terrorisme, contre le racisme et la discrimination des musulmans, cultiver la fidélité et le sentiment d'appartenance des minorités islamiques à leurs pays occidentaux, et ce notamment en les intégrant au marché du travail. Il faudrait également faire la promotion publique des musulmans qui ont réussi en Occident. Sans oublier le soutien des musulmans épris de liberté et de démocratie. De tels acteurs pourraient à la fois devenir des modèles positifs à suivre pour les plus jeunes et jouer le rôle primordial de pont entre l'Occident et le monde musulman. Il n'y a pas mieux que de mettre au devant de la scène publique une image positive des musulmans pour les encourager à se sentir membres à part entière de la communauté nationale occidentale. Sans l'apport de musulmans apaisés, point de lutte efficace contre le terrorisme.

Au niveau religieux, il faudrait que les gouvernements occidentaux prennent en charge la formation des imams dans des institutions financées par les deniers publics, surveillent le contenu du curriculum, le personnel formateur. Sans oublier les prêches dans les mosquées. Cette formule présente plusieurs avantages, dont le fait d'éviter de se retrouver dans les mosquées avec un personnel wahhabite ou déobandi étranger aux us et coutumes occidentales. Une telle formation devrait évidemment inclure des cours de sciences humaines de religions, de psychologie, de sociologie, de droit, d'économie et d'histoire culturelle de l'Occident et du monde musulman.

Mais pour faire le tri à l'entrée des pays occidentaux ou une fois sur place, le rôle, entre autres, de la communauté d'intelligence et de la police est primordial. Ces corps d'État sont la première ligne de défense de l'Occident. Et surtout, il faudrait toujours garder à l'esprit que l'islam (et donc les musulmans) est trop précieux pour être abandonnées aux jihadistes.
*

Tout comme c'est le cas pour le reste du monde, l'Occident n'est pas à l'abri du terrorisme. D'où l'urgence d'une stratégie efficace de lutte antiterroriste. Cette stratégie devrait comporter à la fois des volets sécuritaires, politiques, culturels, éducatifs et religieux. Si l'État représente ici la première ligne de défense et de sécurité nationale, la conquête des cœurs et des esprits musulmans devrait en être le cœur.

ps: Article paru dans Tolerance.ca

1 comment:

Anonymous said...

Un appel a la reforme de la pensee islamique! Le texte d'Enhaili me rappelle les travaux de Muhammad Arkoun. Il faudrait creer le plein pour ne pas laisser le vide se remplir par des ideologies pronant la violence.
ps: excusez l'absence d'accents dans ce commentaire.

Merci!

G.